CARNET DE BORD n°1, Affût, 15 NOVEMBRE
6H du matin. Les rayons du Soleil commencent à repousser le froid mordant qui s’était installé avec la neige de cette nuit. Les sommets sont blancs, les montagnes semblent s’être vidées de toute vie. Alors j’attends. La photographie est un prétexte idéal pour apprendre à prendre le temps. Le temps de se faire oublier, d’écouter, d’observer, ou tout simplement de s’émerveiller. Dans ce monde sauvage, on vit au rythme que la Terre nous impose : celui des jours et des saisons, de la météo, des aléas. C’est avec cette approche contemplative que j’ai envie de réaliser mes images, en privilégiant la patience aux interactions avec les animaux. Je crois que je recherche une certaine authenticité, j’ai envie de limiter mon impact sur une faune déjà bien oppressée par les activités humaines. Ici, la saison d’hiver approche. Les animaux doivent profiter de leurs derniers jours de tranquillité.
C’est pourquoi je dois évoquer leur beauté, la perfection que les forces évolutives ont mis des millions d’années à atteindre. Avant, je pensais qu’il était important de les photographier dans les moindre détails, de près, comme si on pouvait les toucher et que ça permettrait de mieux sensibiliser. Mais j’ai réalisé que ce n’était pas les animaux en eux-mêmes qui me fascinaient et que c’était plutôt les interactions qu’ils entretiennent avec leur milieu. Quand je regarde le paysage de ce matin, j’en suis convaincu… Oui, la nature peut être vue comme un tout, un équilibre complexe où tous les éléments sont interdépendants. Je ressens le besoin de montrer cela en cadrant plus large pour laisser de l’espace à l’animal, tant dans l’image que sur le terrain. Le lièvre me l’a encore démontré la veille. Le photographier dans son environnement permet tout autant qu’un portrait de mettre en évidence la beauté de l’animal, en laissant aussi la place à celle du contexte et de l’ambiance de l’instant.
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ERMITES
CARNET DE BORD n°2, Contemplations, 27 DÉCEMBRE
J’apprécie quand le paysage en vient à prendre la même importance que l’animal dans l’équilibre de l’image, de telle sorte que l’un n’est plus envisageable sans l’autre. C’est le cas dans les écosystèmes naturels et nous avons souvent tendance à l’oublier. Ainsi, les animaux apparaissent souvent comme étant une infime part du milieu, minuscules, de simples silhouettes isolées : des ermites venus se perdre dans des environnements encore épargnés de la main humaine.
FORÊTS
CARNET DE BORD n°3, Repérages, 18 MARS
Dans les vallées alpines, ou sur les cimes de moyenne montagne, les forêts boréales recèlent de trésors cachés. Reliques de l’âge glaciaire isolées dans ces massifs par le retrait du climat froid auquel elles sont affiliées, elles abritent depuis des îlots de vie aux ambiances envoûtantes.
C’est le chant flûté de la chevêchette qui m’amène. Aurais-je la chance de l’entendre ce matin ? Rien n’est moins sûr. Mais mon chemin se poursuit, sans doute me mènera-t-il vers d’autres découvertes.
Les lueurs du jour commencent à émerger des sommets lointains, et les oiseaux, un par un, entament leur refrain matinal. Mais impossible de déceler les notes de la petite chouette, qui a pourtant pour habitude d’initier cette symphonie. Elle n’occupe peut-être pas ce secteur cette année. Toutefois pas une once de déception ne traverse mon esprit. Car son absence participe elle aussi à l’harmonie de ce monde où les êtres sauvages sont maîtres.
Sur une des branches de la canopée où je l’imagine posée à scruter les étages inférieurs, un écureuil décortique méticuleusement un cône d’épicéa. Je ne le savais pas encore, mais ce que je cherchais est là. Ce petit rongeur n’est ni rare, ni particulièrement affilié à cet environnement d’altitude. Mais son adaptation à la vie verticale m’émerveille tout autant qu’un tambourinage de pic tridactyle ou une parade de tétras lyre. Ce matin, la forêt m’a offert un nouvel instant hors du temps.
GORGE SECRÈTE
CARNET DE BORD n°4, Observations, 9 MAI
Ecrin de mousse molletonnant une cavité rocheuse perchée au-dessus de la rivière, le nid est le gîte de rêve pour les jeunes cincles plongeurs. Pourtant, ils l’ont déserté il y a quelques jours. Depuis, ils errent sur les rives, attendent l’un des nombreux aller-retours de leurs parents et s’essayent à la plongée pendant de courts instants. L’eau n’est pas encore leur élément, mais elle le deviendra avec le temps.
TAÏGA
CARNET DE BORD n°5, Explorations, 23 SEPTEMBRE
C’est l’équinoxe, le soleil ne dépasse désormais plus les 20° au-dessus de l’horizon, ce qui donne une atmosphère nordique très plaisante aux paysages même au beau milieu de la journée. La vitesse à laquelle les jours raccourcissent est déroutante, mais les températures elles, restent douces. Je passe maintenant mon temps à errer dans les vallées du nord de la Norvège. Elles sont le royaume des géants des bois, les élans. C’est en partie pour observer cet animal que je suis ici. Avec son allure maladroite et son aisance insoupçonnée dans les étendues infranchissables de forêts marécageuses, il me transporte directement à la préhistoire, époque où il côtoyait d’autres créatures à la taille démesurée. Pourtant, son double-mètre au garrot ne l’empêche pas de passer inaperçu, et ce n’est qu’aux premières lueurs du jour qu’il se laisse occasionnellement observer à l’orée d’un bois ou d’une tourbière. En cette période de rut, mâles et femelles forment de petits groupes qui se côtoieront tout l’automne, avant de se dissoudre à nouveau dans les massifs forestiers.
Ces forêts rases sont également le refuge de nombreux oiseaux que je tente difficilement d’apercevoir comme le lagopède des saules ou le pygargue à queue blanche. Chaque rencontre dans cet environnement est une toile impressionniste illuminée par le feuillage jaune des trembles et le rouge des cornouillers. Au détour des chemins, on peut y trouver des champignons et baies en tous genres qui participent au ballet de formes et de couleurs de cette végétation luxuriante. L’automne est à son apogée.
TOUNDRA
CARNET DE BORD n°6, Voyage, 10 OCTOBRE
En prenant de l’altitude, les arbres désertent les paysages au profit des pierriers recouverts de mousses et lichens variés. Le sol est une moquette multicolore aux motifs organiques. Mais sous cette apparente douceur se cache l’hostilité d’un milieu constamment soumis à la rudesse des éléments. De rares traces témoignent de passages d’élans ou de renards, mais ces déserts glacés abritent surtout d’immenses troupeaux de rennes sauvages et des groupes de bœufs musqués parsemés. D’invisibles populations de lagopèdes alpins et lièvres variables peuplent également ces espaces. On a beau ne pas les entendre, ne pas les voir, on sait qu’il y en a toujours un là, quelque-part. Une pensée qui magnifie à elle-seule ces paysages grandioses.
On arrive à la mi-octobre, les feuilles se sont maintenant volatilisées du fond des vallées tandis que la neige commence à faire de timides apparitions sur les hauteurs. Les nuages se sont montrés plus timides ces derniers jours, de quoi admirer le spectacle mystique des aurores boréales durant quelques nuits, bien au chaud dans mon duvet.
L’AUTEUR
Né en 1995, j’ai passé mon enfance dans la campagne au pied des Alpes à me passionner pour la vie qui la peuplait et tout particulièrement pour les animaux. Puis, fasciné par les grands espaces, je me suis assez naturellement laissé porter vers des territoires lointains où la dimension du sauvage est toute autre que dans nos contrées européennes. Aujourd’hui, lors de mes sorties, j’essaie de retrouver cette sensation d’immensité et de solitude au plus près de chez moi.
PUBLICATIONS
- Terre Sauvage n°413 (juin 2023) : Un automne au nord de la Norvège
- Terre Sauvage hors série (décembre 2022) : La faune alpine
- BBC Wildlife magazine (juillet 2022) : Portfolio sur le bouquetin des Alpes
- Nat’Images n°55 (avril 2019) : ”Le pic tridactyle, à cache cache”, article sur le pic tridactyle, un habitant rare de nos vieilles forêts
- Nat’Images n°41 (décembre 2016) : « Un peu plus près des nuages », article sur la photographie de la faune des Alpes
DISTINCTIONS
- GDT European wildlife photographer of the year : Fritz Pölking Junior Prize (2021), highly commended catégorie “mammifères” (2020, 2022)
- Bourse Iris Terre Sauvage : lauréat (2021)
- Concours du festival international de photographie de Montier-en-Der : finaliste catégories « l’homme et la nature » (2017), “paysages naturels du monde” (2018), “oiseaux sauvages de pleine nature” (2019), « autres animaux sauvages » (2022)
- Concours Festimages nature : 1er prix « mammifères sauvages d’Europe », 2ème prix “nature sauvage en villes et jardins”, 1er prix “jeunes” (2014)